AVANT-PROPOS

DEUXIÈME PARTIE

 

Nous entretenons avec l’écriture une relation ambiguë. Nous lui reconnaissons le pouvoir d’exprimer en quelques traits l’infinie variété des caractères humains. Partagé entre un nécessaire conformisme et une impossible conformité, le geste d’écrire nous paraît assez sensible pour traduire – ou pour trahir – toutes les nuances de notre personnalité. Nous le comparons volontiers au timbre de la voix ou à la démarche d’un individu, à la façon particulière qu’il a d’accomplir les gestes les plus conventionnels, où se révèle une manière d’être et d’agir qui n’appartiennent qu’à lui. Mais la justesse de cette comparaison ne fait que rendre plus manifeste encore l’injustice dont est victime l’écriture en Occident. Car si la maîtrise du geste et celle de la voix trouvent leur accomplissement dans des formes d’expression dont nul ne songe à contester la valeur artistique; si un danseur, un comédien ou un chanteur sont capables d’éveiller en nous toute la gamme des émotions qu’il nous est donné d’éprouver, une page d’écriture ne nous inspire, dans le meilleur des cas, qu’un sentiment de respect mêlé d’admiration, semblable à celui que nous ressentons à la vue d’un vase précieux ou d’une pièce d’orfèvrerie. De toute évidence, la part de nous-mêmes que nous mettons dans les signes que nous traçons intéresse davantage le psychologue que l’amateur d’art. Pour la culture occidentale, écrire n’est pas un art.

 

Les mots que nous écrivons nous ressemblent. Ils révèlent, pour les Chinois aussi bien que pour les Occidentaux, notre tempérament, nos humeurs et nos états d’âme. Mais, alors que la découverte des qualités expressives de l’écriture a donné à la Chine le plus prisé de tous ses arts, l’Occident en a tiré, pour sa part, une science reconnue et respectée de tous, qui influence quotidiennement la vie d’un grand nombre de demandeurs d’emploi et dont les analyses ont depuis longtemps reçu la caution des tribunaux. Comment expliquer une telle différence de sensibilité et d’où vient qu’elle se manifeste, presque toujours, par un effet de miroir? Cent onze paragraphes seront nécessaires pour tenter de répondre à cette question.

 

Ces paragraphes sont de longueur et de qualité inégales. Leur rédaction s’étend sur plus de vingt ans, de 1981 à 2002. Le noyau le plus ancien, qui comprend les deux premiers paragraphes ainsi que les commentaires sur la devise de Genève, avait accompagné quelques calligraphies illustrant cette devise, lors d’expositions où ce travail était montré, entre 1981 et 1983. La collection complète des 36 premiers paragraphes était prête en 1984. La matière des 75 nouveaux paragraphes a vu le jour pendant les quinze années qui ont suivi, pour être finalement fixée dans sa forme actuelle entre 1997 et 2000. Leur caractère fragmentaire découle naturellement, mais pas entièrement, de cette lente maturation. Les cinq estampes qui sont à l’origine de ce travail ont trouvé leur place à la fin de l’ouvrage, suivies des commentaires qui leur sont liés, et les deux groupes de paragraphes se suivent à présent sans interruption.

 

Fragments de pensées, courtes notations souvent indépendantes les unes des autres, textes clos sur eux-mêmes, leur forme me permettait de les rédiger et de les corriger mentalement en toutes circonstances, que ce soit dans la rue ou au détour d’une conversation à laquelle je ne prenais pas une part active. Partie de l’écriture, cette réflexion devait gagner, de proche en proche, tous les domaines où une civilisation trouve prétexte à l’expression de son génie. Ecriture, peinture, musique, poésie, science et philosophie furent ainsi, tour à tour, appelées à témoigner. Non pour faire œuvre de savant mais pour tenter plutôt de poser, sur les sciences et sur le savoir, un regard d’artiste. Regard oblique, en un certain sens – celui que donnait à ce mot Roger Caillois lorsqu’il imaginait ces «sciences diagonales» qui, telles des coupes transversales à travers le morcellement des connaissances, feraient apparaître les lois élémentaires, les correspondances secrètes, les récurrences et les symétries d’un univers fini, nécessairement redondant. Dans ce labyrinthe où je risquais de m’égarer, j’ai dû renoncer à bien des développements et des bifurcations qui m’auraient sans doute permis de nuancer mon discours. J’espère que l’on ne m’en tiendra pas rigueur. Le lecteur impatient pourra parcourir la moitié des 36 premiers paragraphes avant d’aborder la lecture des 75 nouveaux paragraphes dont le centre de gravité se situe entre les numéros 88 et 98 – onze pages qui, avec l’insouciance et la témérité que procure l’ignorance, se risquent à donner leur propre interprétation des chapitres 25 et 42 du Tao Te King ainsi que des premières lignes du livre de la Genèse.

 

Cette construction repose tout entière sur une certaine idée du mimétisme. Qu’on la récuse, et c’est tout l’édifice qui s’écroule. Mais, si je me suis trompé, on l’appréciera, j’espère, pour d’autres qualités que celle d’être vraie.

 

Janvier 2003

 

 

 
  

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